Lili Saint-Laurent est poète, elle est née à Paris et vit à Madrid depuis plus de huit ans. Curieuse de l’être humain en général, passionnée par le monde des livres et de l’écriture et de toute forme de culture, elle a été diagnostiquée d’une forme précoce de la maladie de Parkinson à l’âge de 37 ans, il y a quelques années déjà.
Elle nous raconte comment elle mène son combat contre la maladie – « On ne lâche rien ! » – et comment elle tente de mettre son talent et sa poésie au service d’une communication plus juste et plus humaine sur les malades et leur vie quotidienne.
Portrait d’une femme qui utilise les mots pour combattre les maux.
(intro à utiliser comme résumé Insta. Avec titre : Portrait d’une femme qui utilise les mots contre les maux)
Bonjour Lili, merci de nous accorder cette interview et de partager avec les lecteurs de SÉRIE LIMITÉE une expérience que l’on imagine d’une grande complexité.
Pouvez-vous vous dire quel a été l’impact de l’annonce de la maladie et votre cheminement depuis ?
Et bien, disons qu’un jour, on vous apprend que vous allez devoir vivre avec un colocataire indésirable, la maladie de Parkinson, une maladie neuro-dégénérative incurable à ce jour, dont les conséquences sont multiples et très différentes pour chaque patient. La maladie est encore mal connue sous sa forme juvénile, mais elle l’était encore moins il y a une quinzaine d’années.
Quand vous apprenez à 37 ans que vous êtes atteinte d’un mal censé toucher surtout les personnes plus âgées, votre vie change tout à coup de perspective !
J’étais mariée depuis peu, expatriée aux Pays-bas et embarquée dans plusieurs aventures professionnelles. J’ai donc dû m’arrêter, encaisser la chose, reprendre mon souffle, et faire face à cette nouvelle situation.
Quelle a été votre stratégie dans ces moments que nous imaginons bien difficiles ?
À l’origine, j’ai fait un pari assez fou : celui de refuser, à 40 ans, de me laisser plomber par la maladie. Et pour ce faire, il fallait la transformer en autre chose, en une source d’inspiration.
Je me suis plongée dans l’écriture et la poésie tant pour extérioriser ce que j’étais en train de traverser que pour communiquer sur ce monde inconnu du grand public. Et pour cela, j’ai utilisé les outils que j’avais à ma disposition, ma passion pour le monde des livres, mon expérience dans la reliure, mon amour des mots et de la poésie… Tout cela, uni à mon intérêt pour le monde du web (obtention d’un diplôme de rédactrice web), des réseaux et des nouvelles formes de communication et de partage a donné naissance à mon blog, Fils de Parks.
Quel était l’objectif de ce blog ?
Ce que je lisais sur la maladie ne me correspondait pas, n’apportait selon moi aucune lueur d’espoir et surtout ne retraçait pas mon itinéraire. En m’appuyant sur celui-ci, je voulais changer les idées reçues, en vue d’une meilleure insertion des malades chroniques dans la société. Et plus que tout pour survivre, j’ai pris le pari de changer de focale, d’appréhender mon encombrant colocataire sous un angle différent, celui de la poésie, de l’écriture, du partage et de l’humour.
Quels ont été les résultats, jusqu’à présent, de cette initiative ?
Le blog, bilingue français/anglais, compte des fidèles lecteurs en France mais aussi en Angleterre et au Canada. Un bon nombre d’entre eux sont atteints de la même maladie que moi, mais il y a aussi des lecteurs « en bonne santé ». Et nous avons tissé une solide communauté de patients et d’associations, unis au travers des réseaux sociaux : Facebook, Instagram, etc.
La force du blog, c’est d’alimenter et maintenir un lien entre des personnes, proches ou non, se connaissant entre elles ou pas, qui souffrent du même mal que moi, ou le côtoient au quotidien, ou simplement manifestent de l’empathie envers les personnes qui en sont atteintes. J’aime aussi croire que mes poésies, textes, photographies et autres contenus apportent du positif et de l’optimisme aux gens qui les lisent.
D’un point de vue médical, quelle est votre vision de l’attention qui est portée à des malades comme vous ?
Je vis hors de la France depuis plus de 10 ans, et j’ai donc expérimenté trois systèmes de santé : le français, le néerlandais et l’espagnol.
J’ai entendu beaucoup de gens se plaindre su système social français, mais il a le mérite d’exister et de prendre en compte toute la population, un peu comme l’espagnol. Dans un système plus libéral, comme le néerlandais, j’ai eu de grandes difficultés à trouver une mutuelle qui accepte de me prendre en charge avec une maladie neuro-dégénérative ! En fait les deux systèmes, très différents, pourraient être complémentaires.
Mon plus grand défi a été de trouver un statut juridique qui prenne en compte mon handicap à la fois en France et en Espagne !
Je dois dire que les démarches pour obtenir ma carte d’invalidité en Espagne n’ont pas été aussi compliquées qu’en France, où, quand on dépose la demande, on a à justifier de tant de choses, que l’on a l’impression de vouloir abuser de quelque chose, alors qu’on devrait être accompagné, dès le départ. En Espagne, pas de questions tordues de la part des médecins, et des délais d’obtention plus courts. Je pense que le regard que porte la société espagnole sur la maladie et le handicap est plus inclusif et bienveillant qu’en France. Et cela se sent aussi dans l’espace public.
À ce sujet, je trouve cela dommage qu’il n’y ait pas plus d’échanges au niveau européen. Ce serait vraiment bénéfique pour tout le monde. Rien que le fait que les cartes d’invalidité de soient pas reconnues d’un état de L’UE à l’autre me semble aberrant.
Quel est votre vécu de l’expatriation ?
L’expatriation est une formidable aventure, humainement très enrichissante. Mais cela demande de la force et du courage. On peut douter, se démoraliser, se sentir seul, on est loin de sa famille, ou de ses amis. Heureusement, Madrid est une ville accueillante, les gens y sont chaleureux, et on retrouve aussi d’autres expatriés avec qui on peut tisser des liens. Et puis, avec les moyens actuels de communication, nous pouvons rester connecter en permanence et, avec le monde entier !
L’immersion est essentielle dans un processus d’expatriation. Il faut accepter de quitter ses habitudes, d’apprendre des modes de vies différentes, mais à la fin on se fait un nouveau chez soi, ailleurs…
Quels sont vos projets actuels, ce qui vous motive au quotidien ?
J’ai des projets plein la tête, en cela la maladie ne m’a pas changé. Ils tournent toujours autour de l’écriture – que j’ai chevillée au corps depuis mon enfance – de la communication et du partage.
Je suis en train d’écrire un roman, j’avais déjà publié un recueil de poésie, Wanted en français, qui en voie de traduction à l’espagnol.
Quand la maladie me laisse un peu de répit, je crée encore parfois des livres d’or, des modèles uniques, pour ma famille et mes proches.
Par ailleurs, en 2019, j’ai participé à l’organisation d’une représentation de : « Fragments dopaminergiques », œuvre théâtrale basée sur la lecture d’une partie de mes textes et poésies. Elle a eu lieu au théâtre de la Huchette, à Paris avec Jean-Claude Drouot, Pierre Santini et Emma Santini. Cette formidable aventure a été stoppée net par la pandémie mais nous recherchons actuellement des salles de spectacle afin de la prolonger.
En 2021, j’ai participé au projet de recherche-création de « Piece of Mind », projet pour lequel nous avons réuni des chercheurs scientifiques, des artistes et des personnes atteintes par la maladie de Parkinson pour co-créer une performance basée sur la recherche scientifique et l’expérience vécue. Le projet est dirigé par Naila Kuhlmann, chercheuse postdoctorale à l’Université McGill. « Sur le fil », titre éponyme d’une de mes poésies, est disponible en ligne et a donné lieu à une représentation à l’Université du Québec à Montréal.
À nouveau, ce sont les nouvelles technologies qui ont permis de mener à bien ce projet, grâce aux visioconférences. En effet tout le processus de création a été réalisé durant la pandémie et sur deux continents, en simultané. En outre, les malades ont pu participer depuis chez eux. La normalisation du télétravail est une grande avancée pour les personnes malades ou handicapées.
Et plus récemment, j’ai créé et j’anime un podcast participatif qui s’appelle « En Veux Tu – En Voix La ! » en collaboration avec l’Alliance française de Madrid.
En quoi consiste ce podcast ?
Il offre l’opportunité aux auditeurs d’envoyer en audio le message dont ils ont toujours rêvé sans jamais oser l’exprimer !
Je leur offre mon aide pour rédiger le texte et ma voix afin de le transmettre à son destinataire. Le but est de faire découvrir le pouvoir libérateur de l’écriture. Mais également le bonheur de le partager sur une plateforme collaborative et créative, où se mêlent les messages et mon amour des mots et de la poésie.
Nous avons déjà réalisé 6 épisodes qui sont disponibles à l’écoute sur la chaine de l’Alliance : AFM Radio sur Spotify.
Quels sont les mots de la fin, ou le message que vous aimeriez transmettre à nos lecteurs pour clore cette interview ?
Ma recette pour avancer : un brin d’optimisme, une touche de gaieté, un peu d’humour et beaucoup d’amour !