PRÉSENTATION
Bonjour et merci d’avoir accepté cet entretien en « SERIE LIMITEE » avec Morillon Avocats.
Vous êtes responsable de l’unité de soins respiratoires intermédiaires de l’UCIR et vous occupez le poste de médecin-chef associé du service de pneumologie de l’hôpital universitaire Fundación Jiménez Díaz-Quirón Salud. Vous êtes l’auteure d’innombrables publications et êtes membre de diverses sociétés scientifiques. C’est un honneur de vous recevoir dans notre publication.
Quels mots utiliseriez-vous pour décrire ce que vous faites dans la vie ?
Essentiellement, mon travail consiste à tenter de vaincre les insuffisances respiratoires résistantes au traitement conventionnel au moyen de thérapies respiratoires non invasives dans un cadre monitorisé.
Qu’aimez-vous le plus de votre travail ?
Qu’il me permet de sauver des vies.
Sauriez-vous dire quel don particulier, quel talent vous permet de faire votre travail avec succès ?
Je pense que c’est la capacité d’apprendre continuellement au sein de ma spécialité et également de rechercher des synergies dans des aspects scientifiques plus avancés qui à première vue semblent incompatibles. Je passe ma vie à chercher des synergies pour enrichir les connaissances. En ce qui concerne le talent, je ne sais pas, peut-être une curiosité sans bornes, une bonne dose d’humilité, et une très grande capacité de travail
Qu’est-ce qui est le plus facile de votre travail ? Et le plus difficile ?
Le plus facile, c’est de me réveiller tous les jours en ayant envie d’y aller. Le plus difficile, sans aucun doute, c’est de perdre mon patient.
RESPIRONS !
Comment devrions-nous vivre pour garantir les meilleures conditions possibles à notre système respiratoire ?
Il faut mener une vie saine à tous points de vue. Le poumon est sensible à pratiquement tout. Il a tendance à être le dénominateur commun et la cible finale de presque toutes les maladies aiguës et chroniques significatives.
La maladie respiratoire la plus grave est la MPOC, c’est du moins ce que l’on prétend. Pourquoi fumons-nous si nous savons que nous endommageons nos poumons ?
La maladie respiratoire la plus grave est la détresse respiratoire. La MPOC est très répandue et certainement très limitante. Autrefois, le tabagisme était accepté par la société, voire même considéré comme un signe de distinction. Étant addictif par nature et la commercialisation n’ayant jamais été interdite, il est difficile de le faire disparaître. La dépendance l’emporte malheureusement sur la raison.
Le fait de fumer ne crée pas les mêmes dommages chez tout le monde. Y a-t-il une explication à ces différences ?
Dans la plupart des cas, ces différences ne sont pas identifiées mais sont vraisemblablement des caractéristiques génétiques sous-jacentes.
De nombreux troubles respiratoires surviennent de façon saisonnière, sous forme d’allergies. Existe-t-il une explication simple mais complète au phénomène de l’allergie ?
L’alternance entre l’exposition intermittente à quelque chose à quoi nous ne sommes pas immunes et des périodes de répit prolongées inhibe une éventuelle adaptation progressive. La saisonnalité interrompt l’exposition et empêche l’adaptation.
Peut-on dire que l’univers nous rend incompatibles avec les substances que nous pouvons rencontrer ?
Tout à fait ; il y a des radiations, des molécules, des atomes et des isotopes avec lesquels nous sommes incompatibles. Malheureusement, certains, fort nuisibles, sont même produits ou modifiés par l’homme.
On prétend que l’asthme est inextricablement lié à l’hypersensibilité. Qu’y a-t-il de réel dans cette affirmation, selon vous ? L’asthme est une maladie psychosomatique ?
L’asthme est en effet l’expression pulmonaire d’une hypersensibilité à une substance extrinsèque ou intrinsèque de l’organisme. La maladie n’est pas d’origine psychosomatique, mais compte tenu de sa gravité et de la difficulté à prévoir le moment où elle va atteindre son pic, elle génère une grande anxiété chez le patient ce qui répercute sur son évolution et peut souvent avoir une conséquence psychosomatique. L’important, c’est le dépistage précoce, le traitement pour contrôler les crises et l’éducation du patient et de son environnement.
LE POUMON ET LA TRISTESSE
Si vous nous permettez d’aller un peu plus loin dans cette vision un peu philosophique de nos fonctions essentielles, selon la médecine chinoise, le poumon est un organe yin, celui du principe féminin, de la terre, de l’obscurité, de la passivité et de l’absorption. Et, de même que le gros intestin, c’est l’organe de la tristesse dans l’échelle des émotions.
Toutes les émotions ont un impact sur la santé, y compris la santé respiratoire. Il est vrai que les patients souffrant de maladies respiratoires chroniques qui impactent négativement leur qualité de vie souffrent plus fréquemment de symptômes dépressifs. Pensez que notre rythme respiratoire en lui-même dépend largement de nos émotions.
Notre vie dépend de l’air que nous respirons, notre âme dépend-elle de notre respiration ?
Je ne saurais pas le dire formellement, mais c’est la respiration qui nous fait vivre et son absence qui nous fait mourir. Tout commence et finit entre le premier souffle dans la salle d’accouchement et celui du dernier moment. C’est l’échelle de temps de notre existence. Et ce que nous faisons durant cette période qui nous est accordée déterminera probablement le devenir de notre âme.
COVID
Qu’a signifié le séisme sanitaire que représente le Covid pour votre profession ?
C’est la chose la plus difficile à laquelle nous ayons été confrontés depuis des décennies. Tous les schémas précédents ont été brisés en générant beaucoup de souffrance, d’anxiété et de douleur. Je crois que jamais, sauf sur le front de bataille, il ne peut y avoir eu autant de peur et de frustration face à la maladie que dans le scénario qui s’est présenté à nous en mars 2020.
Et dans votre spécialité ?
Si on tient compte du fait que le poumon a été l’organe le plus gravement touché, pour notre spécialité et en particulier dans le domaine des patients critiques et semi-critiques, cela a été une expérience difficile à décrire avec des mots. La blessure est profonde en chacun de nous et nous essayons d’oublier la terreur, l’agonie, la douleur et l’impuissance. Mais nous nous sommes guéris les uns les autres. Cette pandémie nous a brisés au départ, mais à la fin elle nous a unis au sein de la profession par des liens indéfectibles. Nous tentons encore aujourd’hui de nous reconstruire.
Pensez-vous que les citoyens ont été bien informés ? Pensez-vous qu’une gestion adéquate a été mise en oeuvre dans les différentes phases que nous avons traversé ?
Je crois sincèrement qu’avec les informations disponibles à chaque étape, les gouvernements ont fait de leur mieux pour informer correctement. Qu’ils y soient parvenu, c’est une autre affaire et je ne le crois pas. Mais rendre compte de quelque chose d’inconnu et de très changeant en temps réel est une tâche très difficile. Aurait-on pu faire mieux ?
Certainement, mais c’est facile à dire une fois la tempête passée. Localement, dans mon hôpital, franchement, cela n’aurait pas pu être mieux géré. Nous avons beaucoup de chance, si nos gestionnaires n’existaient pas, il faudrait les inventer.
Je suis fascinée par la grande capacité de gestion dont ils ont fait preuve à chaque nouvelle vague, tous les jours, 24h/24. Je ne me lasserais pas de le dire : leur capacité d’anticipation, leurs gestes, l’efficacité du personnel, le dialogue permanent avec le corps médical, tout cela a sauvé beaucoup plus de vies qu’on ne peut imaginer.
J’ai été formée pour « être gestionnaire même si je ne le suis pas. La stratégie est un de mes violon d’Ingres et j’ai pu observer une stratégie brillante dans chaque geste.
Qu’est-ce qui vous inquiète le plus dans la situation actuelle du monde ?
Je suis inquiète face à la résistance au changement dans des domaines tels que le réchauffement climatique et la digitalisation. Du point de vue géopolitique, je suis très préoccupée par le scénario de guerre actuel et la conscience que l’on peut très facilement revenir aux époques les plus sombres de l’histoire. Le nouvel ordre mondial qui se tisse est également une source d’inquiétude et je rêve d’une Europe forte et unie. Du point de vue médical, je pense que la gravité de cette pandémie à été minimisée trop tôt ; elle n’est certainement pas encore en phase endémique. Je suis très étonnée qu’on ait tendance à croire que cette pandémie devient endémique ou s’achève à chaque fin de cycle, lorsque la vague se stabilise. L’oscillation précédente incite à penser le contraire. Cela me semble terriblement enfantin.
CINQ CONFIDENCES
Quels sont vos loisirs hors du travail ?
Intellectuellement, j’étudie la physique des particules. Socialement j’aime les soirées entre amis. Et j’adore voyager.
Considérez-vous que la vie vous offre souvent de nouvelles opportunités ?
Continuellement… je me sens absolument libre.
Y a-t-il quelque chose qui vaille la peine de souffrir ?
La famille, les malades et la Justice.
Que prenez-vous pour argent comptant au quotidien ?
Que les gens sont bons et loyaux par nature, et ce n’est pas ainsi… mais je préfère continuer à y croire. Même si au fil des ans, je deviens plus prudente.
Qu’est-ce qui vous donne espoir ?
Que nous agissions correctement ou non, l’humanité finit par faire son autocritique, tôt ou tard. Et puis, notre éternelle curiosité.
Derniers mots
René Laënnec, l’inventeur du stéthoscope, l’a inventé à cause de la pudeur que lui causait être trop proche du torse, et également à cause de la difficulté à percevoir les bruits chez les patients en surpoids. En imagination, que lui diriez-vous si vous le rencontriez ? Le lui diriez-vous en français 😉 ?
Bien sûr, ce serait en français, et le remercierais. Il a sauvé des centaines de milliers de vies.
Quelle leçon de vie aimeriez-vous partager avec vos contemporains ?
N’arrêtez jamais de vous poser des questions.
Vous êtes une ancienne élève du Lycée Français de Madrid et faites partie des amis/clients de Morillon Avocats. Devons-nous leur envoyer un message d’optimisme et de meilleurs vœux en votre nom ?
Je dois quelque chose d’important à ma très chère école, le Lycée Français. On nous y apprend à penser et à élaborer à partir de zéro, en utilisant toutes les compétences acquises dans des nouveaux scénarios, à partir d’idées et de projets.
On n’apprend pas par cœur, on apprend à penser et à regarder sur une échelle micro et macro en aller-retour continuel entre ces deux dimensions. Et c’est essentiel.
Je souhaite au Lycée Français de Madrid et aux Morillon Avocats beaucoup de succès et je ne doute pas qu’ils réussiront car l’essence de l’éducation vit en eux. Ça a été pour moi un honneur et un privilège de prendre part à cette interview.
Merci beaucoup!